Le siècle de manufrance

À Saint-Étienne, une exposition raconte la saga de la manufacture.

Chez Manufrance, les armes de chasse et les vélos s'appelaient «L'idéal», «Le Robust» ou «La superbe». Saga industrielle et commerciale qui fit battre le cœur de Saint-Étienne pendant cent ans, la Manufacture française d'armes et de cycles s'expose pendant un an au Musée d'art et d'industrie de la ville. L'hommage, rendu de manière chronologique mais vivante, insiste avant tout sur l'esprit d'innovation de ses deux fondateurs, Étienne Mimard et Pierre Blachon: l'entreprise, avant de devenir le théâtre de conflits sociaux, a aussi été un modèle d'organisation et de production de qualité dont le slogan «Bien faire et le faire savoir» voulait tout résumer.

Émaillé de documents (dont un film promotionnel de 1910 présentant les ateliers), de photos, d'affiches, de catalogues et d'objets, l'exposition déroule l'histoire de cette industrie, restée dans toutes les mémoires. Quatre cent cinquante objets témoignent des premières années de «l'usine modèle», de ses années de gloire ensuite, puis de ce que le musée appelle «le début de la fin». «Manufrance fait partie de l'histoire stéphanoise et française, explique Nadine Besse, directrice du musée et commissaire de l'exposition. J'avais repéré beaucoup d'objets, dont des meubles, des machines outils ou des prototypes, sur des photos anciennes. À sa fermeture, j'ai pu en récupéré quelque uns.»

En 1885, deux hommes lancent ce qui se sera une usine à part, visitée par ses concurrents et même par le président Félix Faure, en 1898. Si l'on en croit les regards sérieux des ouvriers (il y en eu jusqu'à 3000), et leur posture affairée, travailler «chez Mimard» ne semblait pas de tout repos. La chaise était interdite afin d'éviter le laisser-aller. Le patron, «aimé et détesté dans le même temps», fut fasciné par Henry Ford, par la grande série. Les photos en noir et blanc montrent d'immenses ateliers, ainsi que des rangs de dactylos saisissant des milliers de factures. Avec son service postal intégré, Manufrance a tout d'une cité autonome.

Pour cause de fragilité

La première idée des deux fondateurs consiste à s'intéresser à la bicyclette, symbole de modernité à la fin de XIXe siècle. Le musée en possède quelques beaux spécimens, dont la gracieuse Hirondelle. À côté de la diffusion de cycles, qui assure la publicité en dehors de l'entreprise, Étienne Mimard et Pierre Blachon diffusent des armes de chasse. Leur deuxième intuition tient au mode de vente, venu tout droit des États-Unis. Grâce au catalogue, puis à la fameuse revue Le Chasseur français, les industriels s'adressent directement aux clients. Le Chasseur -tiré à 300.000 exemplaires en 1887 !- «veut former les clients afin qu'ils deviennent des connaisseurs, et donc, des amis de l'entreprise» poursuit Nadine Besse.

De beaux exemplaires du journal, avec une mise en page dense et un format comme la presse actuelle n'ose plus en proposer, sont présentés dans des vitrines. De même, les fameux catalogues qui assurèrent la diffusion des produits jusque dans les années 1980 sont consultables, en version numérique pour cause de fragilité. On suit, grâce à eux, l'évolution d'une partie de la consommation familiale: machines à coudre avec «tête à basculage automatique» en 1938, meubles plaqués en 1950, aspirateurs traîneau en 1966, ou encore, mobilier pliant de couleur pour le camping dans les années 70.

Musée d'Art et d'Industrie, 2, place Louis Comte, Saint-Étienne.