La fiancée du Malin

Belzebuth est amoureux et je connais sa fiancée. N’en déplaise à Cazotte, en Berry, nul besoin pour la mise en scène, de chameaux, de chien, ou que sais-je encore …... On sait  faire simple chez nous ! Vous allez voir ! Juste avec une poule noire….
        Au loin, il y a déjà une bonne demi-heure que la menée n’est  plus audible.  A côté de moi Roland tente désespérément de rappeler ses chiens par de longs coups de trompe ponctués à la voix de : « aya ! aya ! aya ! ha ha ha haaaaaaaaaaa ! » .
La recherche nous a beaucoup éloignés de notre lieu de chasse  et il est inquiet, Roland….. Les consignes de tir ont été respectées, une grosse laie a  été épargnée et bien que les postés aient fait de leur mieux pour couper les chiens, deux d’entre eux ont quand même réussi à forcer le blocus et la menée a pris au loin, la direction de la route nationale……
- Tu vois Nanar, Ça part p’t’ête  d’un bon principe, d’pas tirer les mères….Mais ça, on peut pas leur expliquer, aux chiens et maintenant, la grosse, elle a filé, va-t’en savoir ou, avec deux chiens au cul. J’espère juste  qu’a va pas avoir l’idée de couper la grand-route…sinon …..
Ses chiens, c’est sa vie à Roland, sa fierté…Cinq magnifiques griffons Nivernais, toujours bien soignés et en pleine forme. Il y tient comme à la prunelle de ses yeux. Je sens grandir en lui une inquiétude toute légitime, quand tout à coup il a un  sursaut, il porte la main à la poche de son paletot pour en extraire son téléphone et se le coller sur l’oreille.
En quelques secondes ses trais se détendent.  Son visage est même éclairé d’un franc sourire quand il raccroche
- Ça y est, m’annonça-t-il. Y sont en sécurité. C’est les gardes du « Raillet » qui les ont récupérés dans les bois communaux. Y vont m’ les ram’ner au rendez-vous.
    Allons donc, nous allons pouvoir rentrer. Le soleil est déjà bien bas…..
Nous sommes au beau milieu des labours avec nos armes, maintenant inutiles à l’épaule;  Ceci  à plus de  trois kilomètres de la voiture
Roland me devance à grandes enjambées …. Nous arrivons dans un chemin creux et là, je le vois se diriger dans le mauvais sens.
- Oh  Roland ! Ou que tu vas par-là ? Il s’arrête net, l’air effaré
- On va pas rentrer par la forêt, quand même !
- Et pourquoi don? S’il te plait.
- Mais c’est le chemin de la « Maugerie » ! C’est pas sain par-là ! La maison de la Marie-jeanne P ! C’est une sorcière c’te femme-là !
Si je l’écoute, nous sommes partis pour une rallonge  de plus de deux kilomètres.
- Roland !... Tu vas quand même  pas m’dire que tu crois à ces conneries.
    A ces mots, mon regard s’arrête sur le gaillard qui est à côté de moi : Roland L ouvrier agricole 1.95m 110kg ; Taillé comme une armoire normande. Le genre de gars qui n’a peur de rien.    L’âge aidant, il s’était bien assagit mais en son temps, il avait imposé le respect à toute une génération. C’était bien connu dans la région ; On n’allait pas chercher impunément des noises à Roland L.  Les quelques téméraires qui avaient tenté l’expérience, en avaient été pour leur frais. Pas qu’il soit méchant ! Non ! Mais Il avait le coup de poing dévastateur, Roland…..
Et voilà maintenant que ce colosse tremblait comme une jeune pucelle, à l’idée de passer devant la maison d’une petite vieille de quatre-vingt ans….. J’avais du mal à comprendre !
- C’est pas des conneries Nanar. La Marie-jeanne, c’est la fiancée du diable…..A la pleine lune, des fois, a tue une poule noire à la croix des sept chemins.  Et pi, a jette du sang su’ la croix. Aussi, elle écrit des signes par terre, avec un bâton de noisetier.… Et l’soir l’diable y vient la r’trouver et y baisent ensemble. j’te dis ! C’est comme ça ! Le diable, pour l’appeler, il faut tuer une poule noire.
Là-dessus il fait un signe de croix
   Là, j’imagine l’inimaginable….La Marie-Jeanne en plein acte sexuel avec le malin…. Du haut de ses quatre-vingt printemps, crasseuse de la tête aux pieds, avec ses cheveux tous gras et tous emmêlés, son visage tout fripé, sa bouche édentée….. Je me marre.
- Tu devrais pas te moquer de ces choses-là Nanar ; Même si ça parait incroyable…..
- Mais non Roland, j’me moque pas. Mais c’qui parait incroyable déjà, c’est qu’la Marie-jeanne, elle puisse faire bander quelqu’un…. Quoiqu’avec l’diable…..tout est possible…..
- Sois pas con Nanar…Ça, c’était du temps qu’a l’était jeune. C’est mon père qui m’ l’a dit….Et pis mon père tu l’as connu ? hein ?  C’était pas un menteur !... Une nuit, y les a vu, à la croix des sept chemins,  y baisaient ensemble au pied d’la croix et y avait plein de birettes (Les birettes dans le folklore Berrichon,  sont des personnages malfaisants : Sorcières, lutins, esprits méchants.)  qui dansaient autour d’eux….Même que ça puait le souffre et le purin…..Il a tout vu, j’te dis ! Il était caché dans les herbes, couché dans le fossé à moins d’vingt mètres du carrefour.
- Couché dans l’ fossé ! hein ?!…..Ben voilà ! Ça explique tout !….
    J’ai là, une pensée pour le père L. Le personnage  avait eu en effet une longue histoire en commun avec les fossés. Et pas seulement pour y jouer les voyeurs. Les soirs de cuites, quand il n’avait plus la force de marcher pour rentrer chez lui, il était fréquent qu’il y passe la nuit à cuver. Les fossés étaient devenus, en quelques sortes, sa résidence secondaire. C’est d’ailleurs de cela qu’il était mort par une froide nuit de janvier 1997. Trop saoul pour tenir sur son vélo, ses jambes ne pouvant plus le porter, il s’était écroulé, comme à son habitude sur le bas-côté de la route et s’y était endormi. Cette nuit-là, malheureusement, le mercure descendit sous les -10°C. Au matin la boulangère en faisant sa tournée, intriguée par un vélo qui semblait abandonné au bord de la route, arrêta sa camionnette et eut la désagréable surprise de découvrir  le dénommé Marcel L tout raide ;  Congelé dans une position de dormeur bienheureux, un bras derrière la tête en guise d’oreiller….  Une mort en somme, tout à fait en accord avec ce qu’avait été sa vie. Ce gars-là avait passé tant de nuits aux bords des chemins, qu’une mort banale dans son lit eut été vraiment contraire à la logique.
- Sans chercher à ternir la mémoire d’ton père, et j’veux surtout pas dire qu’c’était un menteur! Ça non! Mais tu  sais aussi ben qu’moi, Roland, que certains soirs, au-delà des quatre litres de rosé, ton père y pouvait  ben aussi voir des choses qu’existaient pas. Et c’qu’y racontait dans ces moment- là……
   Tout en discutant, j’avais pris le chemin de la « Maugerie » et malgré ses réticences, Roland m’avait emboité le pas.
- Tu m’ôteras pas d’ l’idée qu’c’est pas prudent d’passer par là, surtout à la nuit tombée.
- Fout moi la paix avec ça !…..D’abord, y fait pas encore nuit !
    Il n’essayait même plus de me convaincre. Il me suivait résigné, l’air boudeur. Le jour commençait à décliner et le froid nous tombait dessus. La nuit s’annonçait glaciale.
    Après une demi-heure de marche silencieuse, dans un chemin très défoncé, nous arrivons devant la « Maugerie ».  La bâtisse, une vieille longère toute délabrée, sous les arbres, semble sortir d’une scène du moyen âge, La cour est jonchée d’un foutoir inimaginable d’objets divers, baignant plus ou moins dans la boue. Trois ou quatre chèvres et quelques volailles attardées errent encore autour de la maison. Un roquet brailleur s’égosille derrière nos talons….Seul Un vieil autobus servant de poulailler, nous rappelle quand même que nous sommes au 21ème siècle.
Il est vrai qu’à la tombée de la nuit l’endroit a tout pour effrayer le promeneur. A côté de moi, Roland a le souffle court et malgré la lumière qui décline, je le vois pâlir.
Justement la Marie-Jeanne est au bord du chemin, devant sa maison.
- Eh ben, Marie-Jeanne. Vous êtes don  encore dehors à ct’heure.
- Faut ben mon gars…Faut ben….Quand qu’on a à faire, y’a pas d’heure.
     Sur ces paroles, sa main nous agite quelque chose devant le nez….Et là, Roland pousse un cri et prend ses jambes à son cou. Un vrai départ de cent mètres olympique. Il en perd sa casquette et ne s’arrête même pas pour la ramasser
L’effet de surprise passé je comprends la cause de sa panique. Dans sa main Marie-jeanne tient par les pattes,  une poule noire toute sanguinolente qu’elle vient d’égorger et s’apprête à plumer.
- Ben dis don!….Il a vu le démon ton copain? Me demande-t-elle
- Non ! Non ! C’est juste une âme sensible et c’est la vue de vot’ poule qui l’aura effarouché.
Elle hausse les épaules
- C’est d’famille !  z’ont jamais été ben futés cheu lui…. Et pis çui-là, le v’la aussi berdin (Fou)que défunt son père……Enfin… Moi, j’va me cuisiner une poule au riz…Comme ça, a l’aura pu  rin d’impressionnant, ma poule.
Je ramasse la casquette abandonnée au bord du chemin
- Salut Marie-Jeanne,  bonne poule ….Et bonne soirée
- A toi aussi mon gars………..
    Dix minutes après, je rejoins Roland qui m’attend, encore tout essoufflé à côté de la voiture.
- T’as vu Nanar que c’est pas des histoires ?….La poule noire…Tu l’as vu ? dis ? Je le sais ben, que c’est une sorcière, c’te femme-là, mais tu veux pas me croire…..Elle t’a pas jeté du sang au moins ????…..Attention ! Si t’as reçu du sang de la poule, ça peut être trrrrès grave, tu sais !
Il fait à nouveau un signe de croix
- Non ! pas une goutte…Mais t’as raison Roland !…C’est louche en effet !…Une poule au riz, ça fait beaucoup pour une vieille femme seule….
    Puis le regard tourné vers le ciel pour dissimuler mon sourire, j’ajoute en murmurant, mais suffisamment fort pour qu’il l’entende :
- P’t’ête ben qu’a l’a un invité, ce soir, la Marie-Jeanne…..Un repas en amoureux ! Tu sais avec qui, Roland !? Après tout, le Malin, il aime p’t’ête ça, lui aussi, la poule au riz…… Tiens! Ta casquette.
Il jette vers moi un regard horrifié.
     Dans une ferme au loin un chien se met à hurler. Un  vent glacial se lève tout à coup, faisant danser les ombres des arbres autour de nous. Une chavoche (chouette chevêche) lance son cri grinçant au- dessus de nos têtes.
     Hé oui ! Les sorciers ! On a plus le droit, depuis longtemps, de les bruler sur la place du village, mais on y croit encore dur comme fer.  Belzebuth a encore beaucoup d’amis en Berry ! Il y  a même une fiancée.

@bluy45 !

Merci! Bien écrit et distrayant!!

Un beau récit. Merci du partage.

Belle histoire

Sympa ton histoire merci pour le partage .
Chez nous en Basse Normandie du côté de la forêt des Andaines
" nous avons aussi une histoire de dame blanche qui se balade
les nuits de pleine lune " quand on croise des parisiens à Bagnoles de l'Orne
on leur raconte l'histoire et on leur indique où se trouve le carrefour du Cerf .

Très jolie ton histoire le berrichon, j'aurais cependant aime que le nom de ma belle mère n'y soit pas mentionné !!!

Rondeau a écrit:Très jolie ton histoire le berrichon, j'aurais cependant aime que le nom de ma belle mère n'y soit pas mentionné !!!

Vraiment, je suis désolé de cette coïncidences! j'ai essayé de faire le nécessaire mais il est trop tard pour modifier moi-même. Si un modérateur pouvait remplacer les noms par des pointillés SVP

Bravo . Quel talent , et c'est un bredin qui apprécie !!!

bluy45 a écrit:

Rondeau a écrit:Très jolie ton histoire le berrichon, j'aurais cependant aime que le nom de ma belle mère n'y soit pas mentionné !!!

Vraiment, je suis désolé de cette coïncidences! j'ai essayé de faire le nécessaire mais il est trop tard pour modifier moi-même. Si un modérateur pouvait remplacer les noms par des pointillés SVP

Voilà grâce à la modération, les noms ont disparu. Mille excuses encore pour cette négligence. Ta belle-mère peut être tranquille: On ne la confondra pas avec la sorcière

bluy45 a écrit:

bluy45 a écrit:

Rondeau a écrit:Très jolie ton histoire le berrichon, j'aurais cependant aime que le nom de ma belle mère n'y soit pas mentionné !!!

Vraiment, je suis désolé de cette coïncidences! j'ai essayé de faire le nécessaire mais il est trop tard pour modifier moi-même. Si un modérateur pouvait remplacer les noms par des pointillés SVP

Voilà grâce à la modération, les noms ont disparu. Mille excuses encore pour cette négligence. Ta belle-mère peut être tranquille: On ne la confondra pas avec la sorcière

Ma belle mère est une sorcière et c'était le sens de mon intervention. Je ne pensais pas choquer et m'en excuse.

Encore merci pour tes récits si vivants et plein d'humanité

 Sans pitié le Rondeau!

Je viens de découvrir cette histoire en fouillant sur le forum, excellente, c'est vrai que dans le Berry, y'a encore une bardassée de gens qui y croient dur comme fer, à ces histoires de sorcellerie. Je ne fais plus d'éloges de ton talent d'écrivain, car je vais finir par me répéter, mais le coeur y est. Merci pour ce récit

Grâce à une bonne grippe, j'ai un peu de temps pour lire... Quel plaisir et quel talent d'écriture ! Encore merci de ce partage...On en redemande...surtout que la grippe dure cette année, parait il... :siff:rire:
Bien amicalement