Un vent de fou

Comme promis la petite histoire de chaque week-end, postée alors qu'on est pas encore en w.e., mais après j'ai plus accès aux ordis chez moi, ils sont tous squattés par mes minots !!!
a+
jp



C’était l’hiver 1985-1986, en Camargue, le lieu, en face de chez l’écolo (voir une histoire d’écolo rigolo), avant notre « rencontre »
Mais là, l’écolo n’avait rien à voir dans cette histoire, il avait fait trop froid, il avait certainement pris la grippe, c’est vrai que c’est sensible et délicat un écolo, ça s’enrhume facilement.
En plus il y avait un Mistral de fou depuis 8 jours, l’écolo était assez fou comme ça, le nez au vent l’aurait rendu encore un peu plus fada, il n’avait pas besoin de ça !

Bref, comme on dit chez nous, le Mistral des fous c’est 3 jours, 6 jours ou 9 jours, c’est comme le bail à ferme 3-6-9.
Après on ne sait plus compter, ça n’arrive jamais.

Et là ça faisait 8 jours, 8 grosses journées de bourrasque à décorner tous les taureaux de Camargue.

On entendait les milliers de canards cancaner en réserve, de l’autre coté du canal.

Quand je dis « on », c’était moi et le chien car on était seuls à la chasse, même le beau frère ainé était resté au chaud. C’était pas plus mal car lui aussi il était un peu « atteint », un jour à la passée, alors qu’il n’y avait pas le moindre piaf en l’air, il y a eu un grand « boum », un tas de terre soulevée de la berge et mon couillon de beauf avec le visage plein de poussière et tout éberlué, le coup de fusil parti « tout seul ». C’est vrai qu’il avait la détente facile, comme il n’était pas du genre à avoir des réflexes rapides, il avait pris la mauvaise habitude de laisser un peu trop trainer le doigt sur la queue de détente « pour gagner du temps ».

Je pensais à ce genre de chose car je commençais à avoir l’esprit engourdi à me geler ainsi à écouter au loin les canards s’égosiller à qui mieux-mieux. Ils devaient avoir les ailes bien engourdies, pas un seul ne se risquait au décollage. A l’ouïe on pouvait sans se tromper reconnaitre les colverts, pilets, siffleurs, milouins, sarcelles et un gros paquet de foulques. A l’œil, rien, même pas un canard qui voletait, ils étaient alignés en grosses bandes compactes et successives contre les berges et les phragmites les protégeaient du vent.

Sur le chemin de terre qui montait sur la chasse, la voiture de « l’armurier » soulevait un tas de poussière impressionnant. L’ami Michel – armurier reconverti en entreprise de nettoyage- avait fini sa journée. La veille il m’avait précisé qu’il viendrait le plus tôt possible, c’était bien le seul avec moi à y croire un peu car on savait bien qu’il faudrait que le vent se calme un peu.

Michel était franchement pas mal handicapé, il boitait dur, la chasse à la passée lui convenait bien, on avait pas trop de chemin à faire pour rejoindre nos places et le chien se chargeait habituellement du rapport, si rapport il y avait.
Mais il avait fait tellement froid que le canal était gelé et les plans d’eau alentours aussi, il n’était pas question de lâcher le chien sur la glace instable. De toute façon, rien ne passait. C’était désespérant.

Puis le soleil s’est couché.

Et ça arrive, même avec un Mistral qui dure depuis des jours et des nuits sans discontinuer, en même temps le vent s’est « calé ».
Instantanément.
Il y a eu un grand silence, on aurait dit la création du monde, rien ne bougeait, rien ne chantait plus, les bêtes attendaient, immobiles.
Je serrais fort contre moi le vieux Robust, je suis sur que Michel faisait de même, on savait que c’était LA passée.

Il y a eu un énorme brouhaha, comme une clameur, on entendait que ça, les milliers d’oiseaux quittaient leur refuge, les ailes battaient l’eau, on devinait maintenant plus qu’on ne le voyait les paquets de canards qui filaient dans l’obscur.

Je tremblais, de froid, d’envie, de joie, d’espoir, de tout.
Je savais le chien toujours attaché qui tremblait lui aussi, il n’a poussé qu’un seul gémissement.
Et puis ça a commencé, sans discontinuer. Les ombres parfois nous frôlaient, l’âme du canon tentait de suivre puis de dépasser les fugitives traces filantes dans le noir.
J’ai du vider ainsi ma cartouchière en quelques minutes, Michel non plus ne tirait plus, il faisait déjà nuit noire.

On s’est rapidement retrouvé
-A lors, ils sont tous tombés derrière ?
-Non, le chien en a rapporté un
-Un seul ?
-Tu ne vas pas y aller maintenant, c’est gelé, on ne voit rien, c’est trop dangereux !
A la lumière du coffre de la fiesta, on a passé tous les deux la main dans le duvet du Milouin
-Tiens, Michel, garde le celui là, je viendrai voir demain, avec le chien au petit jour avant que les renards ne les prennent tous…

Dans la voiture sur le trajet du retour, je n’ai fait que penser à ces canards tombés sur le petit lac, derrière la butte, aux renards qui ne manqueraient pas de venir.
J’ai tout de même dormi comme un bienheureux, fatigué, épuisé d’autant d’émotions, les yeux rouges du froid et l’esprit plein de questionnements.

Au petit jour, j’étais déjà bien sur au « canal », je n’ai pas vraiment fait la passée, je ne pensais qu’aux canards, derrière. On est allé doucement avec le chien, on a franchi la butte. Du haut de la butte je ne voyais qu’un seul gros colvert qui gisait là, en plein milieu du petit lac gelé. Je suis descendu, le chien a voulu y aller pendant que je longeais la haie de phragmites. Les roseaux formaient des touffes irrégulières, je trouvais une sarcelle à un mètre de la rive, le chien en revenant a tapé pratiquement sur un pilet.
Petit à petit j’avais trop de canards à porter, on a du faire demi tour, porter le gibier à la voiture et revenir un peu plus loin explorer l’autre rive du petit lac.

Quand je suis revenu, j’ai couru chez Michel, je n’ai presque rien dit.
On a ouvert le coffre, on aurait dit deux enfants à Noël.

- En tout cas Michel, ce n’est pas la peine de les mettre au congel, ils sont déjà bien congelés !

Merci JP; encore une belle histoire avec en préambule quelques belles sorties sur l'espèce "écolo vulgaris"...

 JP

encore et toujours une belle histoire, merci.

magnifique histoire comme d'habitude


juste par curiosité combien a tu retrouver de canard ?

C'est l'année où on a volé ma voiture, mon carnet de notes de chasse était dedans...ils ont du le trouver, je sais pas si c'est ça qui les a insité à le faire mais on a retrouvé la voiture complétement brulée...
J'ai reconstitué à l'époque ce carnet de mémoire en fin de chasse car j'ai toujours noté les sorties et le gibier.
J'avais retrouvé avec le chien 19 canards !!! ce qui fait un bon ratio car perso j'avais vidé la cartouchière soit 18 cartouches (2 balles pas tirées bien sur !) et Michel a du tirer à peu près pareil ou un peu plus car il avait un automatique... mais la passée n'a pas duré plus de 20 minutes maxi.
Dans le lot il y avait une nette rousse , c'est la seule fois que j'en ai prélevé une.

19 ça peut paraitre beaucoup, mais c'était vraiment le " gros coup ", celui d'une vie car sur cette chasse et en y allant souvent, je prélevais dans l'année environ 20 canards du 15 aout à fin février.
Tu vois un peu, c'était pas tous les jours fêtes !!! heureusement il y avait aussi des vanneaux, bécassines... et des lapins et puis des surprises... une fois à la passée c'est un coq faisan qui est tombé au crépuscule, il passait comme un canard, c'était vraiment incroyable .

JP 

Belle Histoire