Un sanglier pas assez mort

L’histoire ne date pas d’aujourd’hui. Elle remonte à mes premiers permis de chasse, dans les années 70.
A cette époque, tuer un sanglier était beaucoup plus rare et bien moins banal que maintenant. On peut même dire que pour un jeune chasseur, c’était le pinacle, qui vous octroyait toute la considération qu’on accorde aux gens d’expérience dans le monde de la chasse.

Il y avait ceux qui avaient connu cette gloire et les autres….

Cette année là, je venais d’acquérir ma première carabine. Une Marlin 444 à levier, achetée d’occasion, Et quelle occasion ! Son ex propriétaire, qui la détenait depuis plusieurs années, ne s’en était jamais servi. Comme neuve !
Une arme, qui, me semblait-il, contribuait indiscutablement à donner de l’éclat à mon image de chasseur de grand gibier.
Car là encore, à cette époque, ces armes étaient moins répandues que maintenant et il y avait les porteurs de carabine et la basse classe des chasseurs aux armes lisses.

En clair vous l’aurez compris, j’étais ce qu’il convient d’appeler un jeune branleur en quête de considération.
L’autre avantage de chasser avec une carabine, c’était qu’on vous attribuait des postes beaucoup plus amples et en général bien dégagés qui permettent de tirer beaucoup plus loin qu’avec un fusil.

Ce matin là précisément, j’étais placé à l’angle d’une parcelle boisée face à un grand chaume de maïs, d’où j’avais, de chaque côté, une parfaite visibilité sur plus de 150 mètres.

J’avais repéré, en allant me placer, des coulées qui semblaient très fréquentés. Et bien qu’à l’époque, le grand chasseur que j’étais soit incapable de distinguer un pied de la nuit, d’un autre de la veille, toutes ces marques de fréquentation me laissaient bon espoir pour la battue qui s’annonçait.
La suite allait me donner raison. La première menée m’arriva droit dessus et alors que les chiens s’égosillaient encore au loin, un beau ragot bien noir déboula d’une coulée à environ 40 mètres de moi et s’engagea ventre à terre dans le chaume de maïs.

Je réalisai à cette occasion, eh oui, ça arrive aussi aux jeunes, un tir parfait. L’animal se planta le nez dans la terre et passa cul par dessus tête, avant de s’immobiliser, juste agité par quelques spasmes.
Alors là, je n’ose même pas raconter la montée d’adrénaline. Je venais de dépuceler ma carabine, dès le premier tir, et de façon magistrale. Ce fait d’arme allait de toute évidence m’aider à me forger une réputation

C’était sans compter sur la suite……

Il y avait bien une bonne demi-heure que l’animal était mort et mon attention était accaparée par une autre menée au loin, mais qui semblait se rapprocher. Imaginez le graal si j’en tuais un deuxième le même jour…..

J’étais tellement aux aguets que dans un premier temps, je ne vis pas l’individu qui s’approchait silencieusement en longeant la lisière. Et vu qu’à l’époque, on était moins à cheval sur la sécurité que maintenant, les tenues orange fluo n’étant pas de mise, je crois que lui non plus, ne m’avait pas repéré.

C’était julien, un ouvrier agricole employée d’une ferme voisine, qui, en entendant les menées successive, allait, fusil à l’épaule, se placer à l’espère, en comptant sur un coup de chance qui lui apporterait un sanglier sur un plateau dans la coulée choisie.

Plus braconnier que chasseur, connu comme assez peu recommandable, je préférais ne pas lui signaler immédiatement ma présence. En fait, je n’avais guère envie d’engager la conversation. Je comptais même tout faire pour l’éviter
Pourtant, à la vue du sanglier couché dans le champ, à trente mètres de la lisière, il stoppa net. Jeta un coup d’œil de chaque côté puis s’approcha de l’animal pour l’observer de plus près. C’est du moins, ce que je croyais.
Quelle ne fut donc pas ma surprise, de le voir se saisir de son arme et remettre une balle à bout portant à mon sanglier ?
Je hurlais…..

- Mais qu’est ce que tu fous ? T’es un grand malade toi !

Il sursauta en entendant ma voix
- Tu parles ! Ton cochon, il était prêt à repartir….. Au lieu de gueuler tu ferais mieux de dire merci

Non non ! Et il n’en démordra plus « L’animal n’était pas vraiment mort, il essayait de se remettre sur pied et sans son intervention salvatrice, il aurait foutu le camp » Donc il veut qu’on partage

C’était ma parole contre la sienne, et je crois qu’ensuite, vu que tout le monde connaissait le lascar, personne ne fut dupe de la supercherie. Mais pour éviter les palabres interminables, notre président, en arrivant sur les lieux du dilemme, se voulu magnanime.
-Eh Julien ! Tu nous dis, en fait que ce sanglier il est à toi ?
-Tout ce que J’dis c’est que sans moi vous l’auriez perdu. Pour sûr !
-Eh bien emmène le donc et grand bien te fasse…..Mais débrouilles toi, on ne va quand même pas aller jusqu’à t’aider à le transporter.

La malhonnêteté venait de marquer un point. D'autant plus que le transporter, ça ne sera pas un problème pour lui. Le bougre allait revenir avec un tracteur.

J’étais furieux de me voir déposséder ainsi de mon gibier.

Un vieux chasseur qui avait assisté à l’échange, devina ma déception et s’approcha de moi. Il avait parfaitement compris mon désarroi.

- Qu’est-ce qui te chagrine gamin ? T’as peur de manquer de viande ?..... Son histoire, personne n’y croit. Toi tu as réussi un beau tir et ça personne ne peut ni le contester ni te l’enlever C’est là le seul plaisir que tu dois en tirer.
Alors laisse le passer pour un c.. avec ce sanglier là….. Tu peux même être sûr qu’on va être nombreux à faire ce qu’il faut pour ça.

A la suite de cet incident les langues allèrent bon train. Julien fut la risée de tous les gens du cru…Imaginez ! Celui qui tirait sur du gibier déjà mort….. L’histoire se répéta même de père en fils tant et si bien que malgré toutes ses protestations, elle lui colla à la peau jusqu’à son dernier jour.

Quant à moi, j’ai compris ce jours là que la notoriété d’un chasseur n’a rien à voir avec la quantité de gibier prélevée, mais qu’elle se forge au fil des années d’après son comportement vis-à-vis des évènements vécus…… Ainsi donc, le moindre faux pas peut tout réduire à néant. Ça m’a aidé, ensuite, à rester humble
Je n’ai plus jamais contesté un gibier à d’autres, même quand j’étais sûr d’être l’auteur du coup de feu mortel…….…….

Merci du partage

D"abord merci pour ce récit qui me rappelle quelques souvenirs.
En commençant par la carabine une 444 Marlin achetée au début des années 70, en 71 crois-je me souvenir.
Je l'ai toujours, elle a pris sa retraite après de nombreuses années d'utilisation en recherche au sang...
Puis par l'histoire et l'humour des anciens de l'époque. Bien sûr comme beaucoup j'ai commencé la chasse aux gros avec un vieux calibre 16 prêté par un copain de mon père, mais au retour de mon séjour du Pacifique cela aller changer ! …
L'achat de cette arme miracle venue des US dans sa boite carton et une quarantaine de cartouches de marque Remington.
Placé comme il se doit dans une zone claire là où je ne verrai pas grand chose et sûrement à cause de rabâcher aux anciens qu'une carabine de ce calibre était plus efficace que leurs escopettes. (Qu'il m'avait si gentiment prêtée).
Contre tout espoir un goret d'une quarantaine de kilos s’échappait discrètement de l'enceinte traquée.
A une trentaine de mètres sur ma droite il roula comme dans mes plus beaux rêves, mais quelle ne fût pas ma surprise...  
Sa patte avant gauche était absente du corps de ma victime, j'ai eu beau la rechercher encore et encore, pas de patte ? …
Après analyse de la bête je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'une blessure d'un passé récent. (Sur le territoire voisin).
Mais quelle ne fût pas la risée de mes paires, le fils de Marcel (Paix à son âme) a tué un sanglier à trois pattes.

Cela fait déjà le troisième du forum qui a commencé à chasser en battue avec une Marlin 444 . . . . . .    

En Alsace , c'était un peu bizarre dans certaines chasses avec des postés équipés en majorité de Blaser ,  de Sauer ou d'express

Eh bien ça fera 4 Nemrod, car moi aussi j'ai sacrifié à la 444 Marlin mais par procuration du moins au départ....J'avais à l'époque acheté une maison, enfin une ruine dans mes moyens dans une belle petite ville de l'Essonne, et tout était à refaire. Comme je n'y connaissait rien au bâtiment, ni en électricité, j'ai du apprendre sur le tas, conseillé heureusement par deux pros de mes amis. Pour la plomberie et autres bricoles, j'avais fait la connaissance d'un pêcheur devenu copain puis ami qu'on appellera Noé. Je l'avais initié au ball-trap, où il s'était révélé très doué, puis à la chasse, lapin puis sanglier, et en retour il avait travaillé chez moi officiellement puis amicalement au fur à mesure de l'avancement des travaux (toujours en cours 45 ans après). Pour le remercier de nombreuse heures gratuites, je lui avais acheté l'objet de ses rêves, une 444 Marlin toute neuve (ça valait l'investissement).
Donc nous voila un jour d'ouverture partis traquer le sanglier dans la belle forêt de Sénart, un secteur hors ONF aujourd'hui hélas transformé en golf.....dans ces bois, traditionnellement, le gros pépère de la forêt un 170+ prenait ses quartiers d'été, et ça faisait plusieurs ouvertures qu'il échappait aux balles. Pleins d'espoirs, nous avions attaqué quelques grands ronciers et avions fini par le lever dans un "trou de bombe", en fait une reliquat d'exploitations de pierres. Mon copain plombier avait un petit chien appelé Bimbo, qui s'était mis à la chasse officielle en même temps que son maitre, et ce fameux chien d'espèce "croisé ratier" qui n'avait pas son pareil pour calotter un lapin ou un lièvre au détour d'une betterave excellait également au cochon. Après quelques échauffourées avec les chiens et après s'être présenté à la ligne avec le fox  de mon frère et Bimbo accrochés sur le dos, et après un demi tour en règle, le pépère revenait sur la traque c'est à dire nous, dans un secteur où de nombreux trous de carrière parsemaient le terrain, assez profonds dans lesquelles avaient poussé très serré des petits bouleaux. Dans un de ces trous, une belle coulée menait droit sur nous et en voyant les bouleaux onduler à l'arrivée du du sanglier mon ami prépara sa Marlin, car il se tenait dans la coulée à quelques mètres de moi, et les chiens poussaient fort..
Avant de chasser avec sa nouvelle arme, nous avions tiré quelques balles pour essayer "sa" carabine qui s'était révélée très précise, et j'avais bien montré à mon ami la manière de traquer avec l'arme chargée en toute sécurité en mettant le chien en position "middle". Il avait bien compris le système, mais j'avais constaté pendant la battue qu'il préférait pousser les ronces en tenant son arme avec levier sous garde entr'ouvert, et je lui avais dit ma méfiance envers ce système.
Quand le grand sanglier lui est arrivé dans les bottes dans les petits bouleaux, et juste avant qu'il ne repousse le canon de la Marlin, Noé a tiré une balle dans la tête de l'animal. Enfin, il a tenté de tirer une balle, car en traquant les bouleaux serrés, son levier sous garde avait du s'ouvrir un peu trop, la balle était tombée et en préparant son arme il  avait refermé la culasse sur une chambre vide!!!Le sanglier l'avait un peu bousculé avant de remonter à fond la pente de la carrière, et Noé m'avait crié d'une voix étranglée de rage: "a toi Sylvain en retour!!!" mais le temps que je remonte, j'avais vu disparaitre le dos du gros cochon dans un gros roncier et la Brenneke que je lui avais envoyé par dessus la tête ne l'avais pas attrapé!!! Première expérience douloureuse avec la Marlin.
Pour la petite histoire, l'ouverture suivante, le gros pépère était encore là. Il avait essuyé le tir de trois balles de 7RM de la part de mon frère à travers les ronces, mais il avait réussi encore une fois à s'échapper en traversant des jardins fraichement installés, un nouveau passage qu'il avait mis au point pour se sauver!!!!gros souvenirs de chasse!!

Merci mon cher Bluy...toujours content de te lire sur ce site ou un autre, tu n'as pas ton pareil ! Tu te fais trop rare !!! Vrai qu'on a pas toujours au top cette facilité d'écriture, mais avec ou sans , tes récits sentent trop bien notre passion, alors au plaisir de te lire plus souvent